Entreprises à mission : zoom sur 4 cas d’école

Les Echos EXECUTIVES
Par Valérie Landrieu et Florent Vairet 

Entreprises à mission, zoom sur 4 cas d'école
Pascal Demurger a dirigé la Maif de façon traditionnelle pendant plusieurs années avant de passer à un management par la confiance et l’envie. – DR

Business case | L’option de la mission ne sera probablement pas retenue par la majorité des entreprises, mais les expériences déjà menées montrent qu’une autre façon de gouverner l’organisation est possible. Seul risque : la mission est segmentante et le client y adhère… ou pas.

Des dirigeants sont engagés depuis longtemps sur l’une des voies proposées par le rapport Notat-Senard ; et leurs entreprises offrent, de fait, un laboratoire de mise en oeuvre d’un nouveau modèle, inspiré des « B Corp » américains et basé sur la mission. « Hier, revendiquer une mission pouvait s’entendre comme une signature d’entreprise. Demain, formaliser une mission et l’intégrer dans ses statuts impliquera des engagements, des indicateurs et un suivi,, pilotés par l’entreprise avec ses actionnaires et ses parties prenantes », résume Anne-France Bonnet, membre du comité de pilotage RSE de Consult’in France et partie prenante à la toute nouvelle Communauté des entreprises à mission.

Nutriset étend son objet social

Formuler sa mission, les engagements et les indicateurs qui en découlent, Nutriset l’a concrétisé depuis 2015. Par souci de pérennité du mandat qu’elle s’est fixé à sa création – nourrir les enfants des pays défavorisés -, l’entreprise familiale s’approprie alors, pour la première fois en France, un objet social étendu. « Nous étions préoccupés par la question de la pérennité de l’entreprise, explique Isabelle Lescanne, directrice générale d’Onyx Développement, la holding du groupe Nutriset qui compte 14 sociétés à travers le monde. Nous avions trouvé une solution en termes de transmission actionnariale, mais rien ne nous apportait de garantie sur la continuité de sa mission. »

Sur proposition d’une équipe de chercheurs de l’Ecole des mines, l’entreprise ajoute dans ses statuts un article bis à celui sur l’objet social. Une phrase brève décrit la mission de l’entreprise : apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition et de malnutrition. Neuf engagements statutaires la déclinent. « Ces engagements sont ceux du collectif de l’entreprise, actionnaires, dirigeants et collaborateurs et en étant statutaires, ils obligent les uns à donner les moyens de la mise en oeuvre, et les autres à les exécuter », précise Isabelle Lescanne. Ce parti pris de la mission conduit l’entreprise à faire des choix de gestion qui ne sont aujourd’hui pas pris en compte par l’administration. « Nous refusons actuellement un redressement fiscal basé sur le fait que les prêts à nos partenaires dans les pays d’Afrique seraient concédés à des taux trop bas et qu’il y aurait donc un manque à gagner fiscal », confie la dirigeante.

Isabelle Lescanne, directrice générale d'Onyx Développement, la holding de Nutriset, première entreprise à objet social étendu. - Stephane GRANGIER/REA
Isabelle Lescanne, directrice générale d’Onyx Développement, la holding de Nutriset, première entreprise à objet social étendu. – Stephane GRANGIER/REA

Maif aligne les intérêts de ses parties prenantes

Réputée pour sa vision sociétale, la Maif est aujourd’hui en plein exercice de formalisation de sa mission. « Nous allons traduire en mission ce que le rapport Notat-Senard appelle la raison d’être, au regard de notre activité, de nos clients et de la société », précise Pascal Demurger, le directeur général. Au demeurant, l’assureur militant a amorcé sa révolution copernicienne, il y a presque quatre ans, avec un plan stratégique destiné à prendre le virage numérique. « Il nous faut développer des avantages concurrentiels qui nous soient spécifiques », explique le dirigeant. Le meilleur moyen de renforcer cette « singularité », pour ce dernier ? Devenir une entreprise aspirationnelle, alignant ses propres intérêts sur ceux de ses parties prenantes. « Ma responsabilité de dirigeant est d’assurer la pérennité de l’entreprise et des 7.500 emplois qui vont avec. Cela passe par une profitabilité suffisante pour garantir la solvabilité de l’entreprise et financer l’innovationMaisnous ne partons pas de la maximisation des tarifs, déroule le dirigeant. D’une part, nous calculons le niveau de résultat attendu, en fonction de notre objectif de solvabilité et n’augmentons les tarifs que dans la proportion nécessaire pour l’atteindre. D’autre part, nous privilégions la fidélisation, et passons ainsi beaucoup moins de temps et d’argent à l’acquisition de nouveaux clients. » Voilà pour l’alignement avec les intérêts des clients.

Etre en ligne avec les intérêts des salariés, Pascal Demurger y songeait alors. En poste depuis dix ans, cet énarque a dirigé pendant plus de cinq ans l’entreprise avec une conception classique de ses responsabilités. « Nous sommes alors passés d’un système hiérarchique et vertical, reposant de fait sur la contrainte et la sanction, positive ou négative, à un ‘management par la confiance et l’envie’ », retrace-t-il.

OpenClassrooms cible ses clients

« Nous n’avons assumé que récemment d’être une entreprise à mission », reconnaît sans complexe Mathieu Nebra, cofondateur de la plate-forme de cours en ligne OpenClassrooms. Alors que leur mission de rendre l’éducation accessible à tous était sous-jacente dès la création de l’entreprise en 2007, elle n’a été officialisée devant tous les salariés qu’il y a trois ans.

C’est à la suite d’une série de propositions de commandes de MOOC d’entreprise – chèrement rétribuées – que le problème est devenu patent : « Il a fallu expliquer aux commerciaux pourquoi nous refusions ces juteux contrats », explique Mathieu Nebra. Si la contradiction entre « rendre l’éducation accessible » et délivrer des connaissances pointues à des cadres n’est pas si évidente, il assure que le dilemme a été simple à trancher. « Nous nous sommes demandé si nous avions le sentiment de rendre l’éducation accessible avec des MOOC d’entreprise. La réponse a été unanimement ‘non’. »

Mathieu Nebra, cofondateur de la plate-forme de cours en ligne OpenClassrooms, a dû expliquer aux commerciaux pourquoi il fallait refuser des contrats juteux. - DR
Mathieu Nebra, cofondateur de la plate-forme de cours en ligne OpenClassrooms, a dû expliquer aux commerciaux pourquoi il fallait refuser des contrats juteux. – DR

Une fois cette clarification faite, la direction d’OpenClassrooms a dû concrétiser sa mission. Après concertation, dirigeants et collaborateurs comprennent rapidement que leur projet ne prendra de sens que si la formation aide efficacement les apprenants à rapidement trouver un emploi. L’employabilité à six mois est ainsi choisie comme principal facteur de performance ou de KPI (indicateur clef de performance). L’entreprise s’engage même à rembourser la formation si tel n’est pas le cas.

Convaincue par la mission, Laurence Méhaignerie, présidente de Citizen Capital, un fonds qui a investi dans OpenClassrooms et qui est membre initiateur de la communauté des entreprises à mission, l’est aussi sur le modèle économique : « Nous été convaincus de la synergie forte qu’il pouvait y avoir entre la création de valeurs sociale et business. »

Cordant limite les dividendes et les salaires

L’agence britannique de recrutement Cordant a annoncé s’implanter à Paris dans les prochaines semaines. Forte d’un chiffre d’affaires de 850 millions de livres (959 millions d’euros), elle débarque d’outre-Manche avec le titre – qu’elle s’est approprié – de la plus grande entreprise sociale du Royaume-Uni.

Le tournant de cette entreprise familiale a été pris en 2016. Lorsque Cordant voulait développer un projet avec le système de santé britannique, le cabinet Deloitte lui a alors conseillé de se transformer en entreprise sociale. « Je ne sais pas ce que c’est », a tout bonnement répondu Phillip Ullmann, le patron de l’entreprise. Une fois renseigné, le dirigeant est conquis. « Il s’agit d’un changement radical de paradigme. Gagner de l’argent pour les actionnaires devient tout aussi important qu’améliorer la vie des salariés, et c’est bien plus gratifiant ! » exulte le patron.

Phillip Ullmann, le patron de l'entreprise britannique Cordant, souhaite « progressivement faire adopter un salaire décent plutôt que minimum » - DR
Phillip Ullmann, le patron de l’entreprise britannique Cordant, souhaite « progressivement faire adopter un salaire décent plutôt que minimum » – DR

D’une façon plus prosaïque, cette transformation se traduit par une triple modification des statuts. Il a d’abord limité les dividendes des actionnaires et les salaires des directeurs exécutifs à 20 fois ceux des travailleurs les moins rémunérés. La troisième – la plus dure à faire aboutir, selon lui – est la modification du partage du profit. « Une partie de nos clients externalisent leur force de travail chez nous et déterminent les salaires. Beaucoup sont payés au salaire minimum. Je voudrais progressivement faire adopter un salaire décent plutôt que minimum », explique Phillip Ullmann. Mais il ne pourra pas se cacher bien longtemps derrière ses clients, car selon ses propres dires, tous – y compris les plus gros – ont réagi positivement à ce changement de modèle et lui ont assuré qu’ils amorçaient une réflexion. Mais la route pourrait être encore longue.

À noter : 1ère Rencontre des entreprises à mission les 6 et 7 juillet 2018 à Aix-en-Provence
Article original : https://business.lesechos.fr/directions-generales/strategie/transformation/0301434145740-entreprises-a-mission-zoom-sur-4-cas-d-ecole-319571.php

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