“La raison d’être : la potion magique des entreprises ?”, éclairage d’Anne-France Bonnet dans la revue Lab’thazar

Balthazar publie en février 2020 le premier numéro du Lab’thazar. La revue consacre un dossier spécial au thème : “La raison d’être : la potion magique des entreprises ?” dans lequel Anne-France Bonnet, Présidente de Nuova Vista, propose son éclairage.

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“Définir qui nous sommes, en écoutant le monde qui nous entoure.”

“J’ai vu arriver la loi PACTE, qui donne une existence légale à la raison d’être et aux sociétés à mission, avec grand enthousiasme : enfin, les dirigeants ont un cadre légal pour intégrer leurs préoccupations sociétales, sociales, environnementales au plus haut niveau stratégique. Il y a encore quatre ans, quand on parlait “d’entreprise à objet social étendu”, les dirigeants restaient perplexes. Aujourd’hui, avec ce très beau mot qu’est la raison d’être, ils sont face à l’opportunité fascinante de formuler qui ils sont.

La raison d’être n’est pas une nouvelle version de la RSE. La raison d’être part “d’en haut”, du modèle économique : d’abord, je détermine ce que je suis, puis j’en identifie les ingrédients clés. À l’inverse, la RSE part des impacts sur la société et l’environnement, qu’elle mesure avec soin, avant de concevoir des actions et de les piloter. Les vingt dernières années ont été précieuses : elles ont structuré, objectivé la RSE, et en ont fait un objet sérieux, associé à des reportings extra-financiers obligatoires et des référentiels. Mais le chemin qu’elle suivait était un chemin imposé. Parce que derrière RSE, il y avait l’idée de “rendre compte”, ce ne pouvait être un sujet de dirigeant. Ce cadre strict a confiné la RSE à une bulle d’expertise au sein de l’entreprise et a gêné son déploiement à l’ensemble du corps social. La RSE, premier palier décrit par la loi PACTE, n’est désormais plus négociable.

Avec la raison d’être ou la mission, il ne s’agit plus de choisir entre responsabilité ou modèle économique, mais de concilier les deux. On passe du “ou” au “et”. La raison d’être intègre naturellement des questions sociétales. Il y a encore trente ans, une entreprise pouvait prospérer, fabriquer ses boulons ou ses téléphones, et se contenter de veiller à bien traiter ses collaborateurs et de mener quelques petites politiques locales. Cette époque-là est révolue. Aujourd’hui, les impacts avérés des acteurs économiques sont forcément globaux. L’écosystème exprime de telles attentes vis-à-vis d’une entreprise que celle-ci ne saurait se penser sans écouter les besoins du monde.

Pour autant, la loi PACTE est une loi qui fait confiance. Le texte de loi n’impose pas de nouvelles exigences de comportement sociétal. Avec une grande finesse, qui dénote bien l’expérience entrepreneuriale de ses deux inspirateurs Notat et Sénard, la loi remet le sujet au niveau des dirigeants, et les pousse à se projeter à long terme et à embarquer leurs administrateurs, les collaborateurs, les clients et toutes les parties prenantes dans l’aventure. Nombreux sont les dirigeants qui ont commencé à parler de raison d’être dès la publication des premières informations. Les concepteurs de la loi savaient quels nudges apporter : ils ont pressenti que les entrepreneurs seraient d’autant plus enthousiastes qu’ils pourraient se saisir du sujet à leur manière.

Le monde économique se divisera entre ceux qui ont la vista et ceux qui ne l’ont pas : en 2020, un dirigeant doit faire feu de tout bois pour embarquer ses collaborateurs avec lui, pour préserver son avenir, gagner en intelligence et en agilité dans le monde de demain. Le vecteur d’engagement que représente la raison d’être ou la mission est trop puissant pour être laissé de côté. La marge de manœuvre actionnariale, et l’envie sincère des dirigeants, feront ensuite la différence entre ceux qui s’arrêteront à l’étape de la raison d’être et ceux qui iront jusqu’à la mission.

Il n’y a pas de recette miracle : chaque entreprise articulera raison d’être et RSE à sa façon. Les aspects stratégiques et essentiels remonteront au niveau de la direction. D’autres éléments, du registre de la cohérence et de la conformité, relèveront toujours du service RSE. Par exemple, une société qui veut faire de l’économie circulaire son standard remontera l’éco-conception au niveau stratégique. D’autres questions, comme l’égalité homme-femme, pourront en revanche rester au niveau de la RSE. L’exact inverse pourra se produire dans d’autres entreprises.

Tout l’enjeu est de construire avec les dirigeants, les collaborateurs et les parties prenantes clés, un corpus cohérent composé d’une raison d’être, des engagements qui la sous-tendent, et des objectifs socio-environnementaux qui la concrétiseront. Si on vise la neutralité carbone en 2028, par exemple, il faudra repenser, les transports, les achats… Et adosser à chaque engagement des indicateurs de performance bien précis. De nouveaux postes devraient voir le jour dans les entreprises, chief mission officers ou responsables de la raison d’être.

L’inscription statutaire de la mission et des engagements est un acte important car irréversible. Une fois intégrés dans les statuts de l’entreprise, il ne sera pas question de les changer tous les deux ans. Bien entendu, tout modèle économique évoluera forcément avec les années. Il est impossible de connaître l’ensemble des contraintes qu’on aura à affronter dans vingt ans. Mais l’erreur serait de ne pas y aller pour autant. Le rôle du dirigeant, c’est aussi de savoir prendre des risques. La réussite demande de l’audace: celle de définir qui on est, et quels idéaux on se fixe.”

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Et pour découvrir l’intégralité de la revue Lab’thazar, rendez-vous sur le site de Balthazar : https://balthazar.org/.
Bonne lecture !

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